En Provence, 200 ha de vigne et de forêt sont le théâtre de folles inspirations artistiques et architecturales. Ce bouillonnement culturel se double d’expérimentations en agroécologie, visant à inscrire le château La Coste dans une démarche durable et à l’ancrer dans son terroir.

À quelques encablures des paysages du peintre Paul Cézanne, dans la lumière de la Provence, un curieux domaine viticole mène le visiteur sur les sentiers d’œuvres monumentales, dans un paysage jardiné. Détrompez-vous, il ne s’agit pas d’hallucinations dues à une consommation excessive de vins de Provence. Le vignoble du château La Coste, près d’Aix-en-Provence, est bel et bien un centre d’art contemporain, d’architecture et d’agriculture hors du commun. Les plus grands noms sont un jour venus créer une œuvre ici : le chai de vinification en demi- lune pour Jean Nouvel ; le pavillon d’exposition incrusté dans les rangs de vigne est signé Renzo Piano ; une grotte en chêne insérée dans une restanque a été imaginée in situ par Andy Goldworthy ; Per Kirkeby capte le ciel avec son labyrinthe de briques ; Sophie Calle invite les promeneurs à enfermer leurs secrets dans une sépulture perdue dans la forêt…

LA PROVENCE AU CŒUR DE LA CRÉATION

Cette terre provençale inspire décidément beaucoup. Sean Scully, Larry Neufeld, Lee Ufan, Ai Weiwei, Richard Serra, Kengo Kuma, Tom Shannon et d’autres encore y ont installé une œuvre monumentale greffée sur le paysage. Ainsi Richard Rodgers a choisi les hauteurs du domaine pour suspendre un espace d’exposition, au-dessus de la forêt, encadré par le mont Ventoux et le vieux village du Puy-Sainte-Réparade. L’architecte Tadao Ando en a même fait une terre d’expression. En 2011, il signe de béton lisse, de verre et de métal le centre d’art et la porte d’entrée du domaine, joue avec les lumières dans la forêt au travers de bancs en origami et d’un imposant pavillon en épicea goudronné qui délivre un message pour la protection de la planète. Il fait également scintiller l’ancienne chapelle qui domine le site.

À ce jour, une trentaine d’œuvres artistiques et architecturales jalonnent le parcours au milieu des vignes et des bois du château La Coste. Même des concerts de rock trouvent place sous le pavillon de musique de Frank O. Gehry. Cette structure architecturale, parmi les premières construites ici, a préfiguré la métamorphose du domaine, racheté en 2002 par Patrick McKillen, discret homme d’affaires irlandais, fou d’architecture, d’art contemporain et ami de Bono, chanteur du groupe U2. Pourtant, le projet artistique n’a nullement motivé l’achat de ces terres, dit-on. C’est avant tout pour le paysage provençal que l’homme d’affaires acquiert les 200 ha de terre, sous l’influence de sa sœur Mara, qui vivait déjà dans la région et la lui fit connaître. D’ailleurs, c’est elle qui gère le château La Coste au quotidien. « Les vues de la Provence me touchent toujours autant », déclare-t-elle. La première volonté est de partager ces paysages avec des amis, parmi lesquels Sean Scully et Jean Nouvel. L’idée d’exposer et surtout de créer des œuvres sur place est née de ces rencontres provençales. Toutefois, l’acquisition de ce coin de Provence – le terroir du Puy-Sainte-Réparade est viticole depuis l’époque romaine – engage la famille dans un métier dont elle ignore les détails.

DE LA VIGNE AU COMPOSTAGE

Le précédent propriétaire du château La Coste s’était employé à étendre la culture de la vigne jusqu’aux 125 ha actuels, abandonnant 75 autres hectares aux pins d’Alep et aux chênes verts. Une des premières décisions, audacieuse, du nouveau propriétaire est de convertir le vignoble à l’agriculture biologique et de réintroduire les cépages méridionaux. Une tâche à laquelle s’emploie Guillaume Vidal depuis 2019. Aujourd’hui, la conversion du vignoble à peine digérée, un nouveau défi est lancé : le passage à la biodynamie de l’ensemble des espaces agricoles, qui ajoute aux critères biologiques entre autres la phytothérapie, la prise en compte des rythmes cosmiques et des valeurs du sol. Ingénieur agronome et œnologue, il aime étudier les interactions entre les êtres vivants. Cela tombe bien, car sa fonction de régisseur des espaces verts du domaine le conduit à s’occuper également de la forêt, du potager, dessiné par Louis Benech, et bientôt du demi-hectare qui sera consacré au maraîchage, afin de répondre aux besoins des cinq restaurants répartis sur le domaine du château La Coste.

EXPÉRIENCES D’ART, DE CULTURE ET DE NATURE

« Nous essayons de contribuer à transmettre quelque chose de mieux aux générations futures », explique Mara McKillen, qui insiste sur l’importance que chacun ici adhère à la dimension durable du projet dans son ensemble. Un exemple : la gestion des déchets fait l’objet de toutes les attentions. Les produits de l’entretien des pelouses servent de paillage au potager. Les rafles de raisin, source de potassium, sont réintroduites dans le vignoble. Une unité de compostage devrait bientôt valoriser les déchets organiques issus de la restauration. Le travail réalisé sur la forêt expérimente également de nouvelles méthodes agronomiques.
Le parcours artistique ouvert au public depuis 2011 traverse le vignoble, longe des kilomètres de murs de pierre sèche et se perd en forêt. Aucun balisage n’encadre la promenade. Vous êtes libre d’aller et venir. Un titanesque travail a été engagé pour rendre cette forêt accessible et devenir un lieu d’inspiration artistique et paysagère. Quatre années de débroussaillage, de coupe d’arbres et de ratissage des aiguilles de pins d’Alep – responsables de l’acidification et de l’appauvrissement du sol. « Nous avons commencé à voir la lumière à travers les arbres au bout de trois ans de travail », se souvient Mara McKillen. L’habitat forestier a été modifié. Il retient moins les sangliers et accueille aujourd’hui davantage de diversité végétale. « Nous avons redonné vie à ce sol, explique Guillaume Vidal. Maintenant, nous nous occupons de son entretien, regarnissons le sous-bois de fétuques et de ray-grass, qui résistent en milieu sec. » Dix hectares sont actuellement jardinés de la sorte et arpentés par les visiteurs et les artistes. Chaque année, le jardinage forestier gagne d’autres parcelles. En parallèle du travail de l’équipe de jardiniers, Guillaume Vidal étudie un plan de pâturage avec un berger. L’idée est de faire transhumer les brebis sur les pelouses naturelles du domaine, dans les sous-bois et les parcelles de vigne, à l’issue des vendanges et une seconde fois au printemps. « En semant des engrais verts entre les rangs et en faisant passer un troupeau de brebis, on a le même apport de nutriments au sol qu’avec de grandes quantités de fertilisants », ajoute l’agronome. Il a carte blanche pour expérimenter de nouvelles méthodes agroécologiques en interaction avec les activités culturelles, touristiques et hôtelières. Au travers de ce projet global, le château La Coste participe aux moyens de rapprocher l’homme de la nature.

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Cet article est extrait du douzième opus de la revue Garden_Lab : Architecture et jardins. À découvrir dans sa version intégrale

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