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Patrick Nadeau : de la plante à l’« objet vivant ».Garden_Lab#12 - Architecture & jardins.

Patrick Nadeau : de la plante à l’«objet vivant»

Patrick Nadeau : de la plante à l’« objet vivant ».Garden_Lab#12 - Architecture & jardins.
Patrick Nadeau interroge les relations entre le végétal et le design ou l’architecture. Si pour lui le design place l’humain au cœur du projet, intégrer le végétal à la démarche créative enrichit celle-ci en la positionnant dans l’analyse d’un écosystème vivant.

L’atelier de Patrick Nadeau est à l’image de son propriétaire : modeste et accueillant. Depuis la rue, une vitrine dévoile des prototypes conçus pour la marque Authentics, avec laquelle il a développé la collection Urban Garden, récompensée en 2011 par un If Design Award. À l’intérieur, un tour d’horizon des étagères offre au regard des esquisses, des livres de référence et d’intrigants bouquets séchés, aux courbes particulières. C’est l’une des recherches actuelles du designer : le centre d’art des 3 CHA, près de Rennes, lui a commandé pour 2022 une installation destinée à une chapelle du Xe siècle. Avec un sourire amusé, Patrick Nadeau explique : « Nous allons suspendre au plafond un champ de graminées à l’envers ! » Dans cette phase test, il cherche à retraduire formellement les ondulations du vent, et à retrouver dans un jeu de lumières naturelles et artificielles les variations de ce doré particulier, qui caractérise aussi bien les champs de blé que les graminées prises dans les lumières rasantes. Une œuvre contemplative et sensorielle… qui nécessite la prouesse de faire sécher trois mille bouquets en quelques mois.

UN ÊTRE EN MOUVEMENT

Originaire de la campagne, Patrick Nadeau a nourri son imaginaire des paysages de son enfance. Mais inscrire le végétal dans son travail est le fruit d’un cheminement. Après des études d’architecte, il se forme au design et cofonde un studio avec Christian Ghion. Le duo recevra un grand prix de la Création de la Ville de Paris en 1991. En 1998, Patrick Nadeau part en résidence à la Villa Kujoyama, à Kyoto. Cette année de rupture s’avère déterminante : « Être immergé dans une culture radicalement différente de la nôtre, dans sa façon de penser, son regard sur le monde, m’a fait relativiser les choses, dit-il. Je ne voulais plus reprendre le travail d’agence. »

À son retour en France, l’École supérieure d’art et de design de Reims est en pleine transformation : « Si aujourd’hui les écoles de design sont plus proches des écoles d’art, à Reims, on était parmi les premiers à repenser le design sous un angle plus plastique », se souvient-il. Une époque d’expérimentations tous azimuts, un « bouillon de culture » qui va du graphisme au culinaire : dans le cadre d’un atelier, pendant six ans, Patrick Nadeau pose les prémices du design végétal… sans imaginer qu’il va devenir un référent sur la scène internationale.

« Nous ne savions pas comment nommer notre champ de recherche : nous parlions de design et de jardin, mais nous travaillions davantage à l’échelle de la plante, de l’individu. À l’aune des distinctions que faisaient les Anglo-Saxons – on commençait à parler de design graphique, numérique, d’espace… – le nom de “design végétal” s’est imposé comme la moins mauvaise solution. » Patrick Nadeau s’intéresse avant tout aux interactions entre la plante et l’objet. Il fait intervenir à l’école Francis Hallé, Patrick Blanc, Bruno Latour, Duncan Lewis… L’expérience de l’école aura aussi ses limites – telle la difficulté d’intégrer la plante dans des projets pour des étudiants néophytes en botanique –, mais aussi ses belles intuitions, en révélant la force d’équipes pluridisciplinaires. L’une de ses premières réalisations sera le Meuble- jardin, un outil de culture potagère, conçu pour Hermès dans le cadre du Festival international des jardins de Chaumont-sur-Loire (1999) : il imagine une « boîte qui se referme, avec un rabat pensé à hauteur d’un plan de travail », une microstructure architecturale « qui se transforme en terrasse si on grimpe dessus ». Fasciné par les cultures hors-sols, il applique à l’analyse de la plante sa démarche design dans sa volonté de comprendre « comment domestiquer des techniques de culture dans les serres ».

INTERROGER L’OBJET

En tant que designer végétal, Patrick Nadeau cherche à remettre en cause le statut de l’objet par la relation au vivant. Selon lui, « il y a cette idée de parasiter des objets par le végétal ». Il utilise volontiers l’expression « cultiver les objets » pour décrire ses projections utopiques qui visent « une transformation permanente à l’image du vivant, voir vieillir les objets, les voir rouiller ! Végétaliser une table nécessitait déjà de remettre à plat ce qu’était une table : un plateau à une certaine hauteur qui doit tenir debout. Puis en introduisant une plante, on repensait la forme, par exemple en prévoyant une inclinaison pour que l’eau circule : on se rapproche alors d’un micropaysage ».

L’hybridation de ces deux univers lui ouvre des perspectives formelles, et remet en question l’acte même de créer. En inscrivant les objets dans une autre dimension, le designer accepte d’en maîtriser la nécessaire approche technique, tout en laissant une partie lui échapper, au rythme de la métamorphose de la plante.

« En tant que designer végétal, poursuit-il, je me sentais plus proche du jardinier que du paysagiste : le jardinier crée en jardinant. Bien sûr, un designer conçoit un objet qui est ensuite produit, ce ne sont pas les mêmes rythmes ; mais en intégrant les plantes, nous étions dans l’idée de créer un objet qui allait évoluer, se transformer. »

À l’aube des années 2000, son travail surprend, car cette confrontation au vivant interpelle sur l’obsolescence programmée : « On rend les objets périssables, alors que les plantes sont d’une certaine façon éternelles. Une graine tombe, et elle repousse, la plante est toujours dans un cycle, que l’on pourrait percevoir comme une sorte de résilience permanente », indique-t-il.

Puis son intérêt se focalise de l’objet à l’habitat, comme en témoigne sa Maison-vague réalisée en 2013 près de Reims : « Au lieu d’entourer la maison par le jardin, on les lie intrinsèquement, sans perdre l’approche design : la maison est légèrement décollée du sol, à hauteur d’assise, pour pouvoir s’asseoir sur son bord. Isolés par le végétal, ses 100 m2 sont juste chauffés à l’aide d’un poêle à bois. » Pour lui, ce type de projet montre combien des enjeux de développement durable rebondissent avec des enjeux formels, architecturaux, pour aboutir à des environnements plus sensibles et agréables à vivre.

Ses deux participations à Chaumont-sur-Loire résument assez bien l’évolution de son travail : vingt ans après le Meuble-jardin, il livre en 2020 dans les serres du domaine Rainforest 4, un véritable jardin. En 2009, la première installation Rainforest était à l’origine une scénographie pour un showroom du fabricant Boffi : Patrick Nadeau conjugue subtilement une architecture d’intérieur avec un jardin suspendu. Le succès est international. Sollicité, il fait évoluer le concept jusqu’à cette carte blanche récente à Chaumont-sur-Loire, où il associe cette fois différents paysages : « La forêt tropicale, les tillandsias – qui poussent plutôt en Amérique centrale ou en Louisiane, près des rivières –, et des allusions aux cénotes du Mexique avec des céramiques bleues, détaille-t-il. C’est ce qui m’intéresse aujourd’hui : faire des jardins fantastiques, oniriques plutôt. Des univers clos, sortis du monde, pour offrir un moment à part. » Parallèlement aux scénographies, il continue à développer des produits pour Authenthics : les systèmes de cultures verticales imaginés pour l’habitat se vendent aujourd’hui dans les bureaux, les espaces commerciaux. Et il travaille régulièrement avec Laorus, éditeur spécialisé dans le jardin, pour qui il finalise une clôture en métal qui intègre des supports de culture : « On trouve des solutions pour les petites surfaces en utilisant l’espace vertical, par exemple pour le potager », précise-t-il.

DES DÉMARCHES PROJETS DE PLUS EN PLUS COMPLEXES

Aujourd’hui, Patrick Nadeau planche sur des projets avec le phytosociologue Claude Figureau. Ensemble, ils répondent à des appels d’offres pour des aménagements de quartier : « Nous sommes dans des problématiques de développement durable passionnantes, tout en concevant des micro-univers qui se complètent », se réjouit-il. ll note des changements dans les modes opératoires : « Auparavant, les architectes définissaient les bâtiments, puis ils appelaient les paysagistes. Aujourd’hui apparaissent des projets où les urbanistes et paysagistes travaillent en amont à définir l’implantation des bâtiments par rapport au sol, au climat, au paysage du site initial. Et les architectes interviennent après. Nous, nous arrivons entre les deux, pour définir une sorte de ligne artistique à partir des données des paysagistes. On développe un mix entre des jardins, des usages, en prenant en compte l’histoire du lieu, en retrouvant éventuellement d’anciens paysages, ou ceux typiques de la région. » Pour Patrick Nadeau, cette évolution est révélatrice des transformations en cours : « Dans ce croisement entre design et botanique, on se comprend bien mieux : au départ, quand j’étais designer et que j’allais voir un botaniste pour demander des conseils, on m’envoyait promener ! Mais j’étais également ignorant. » De même, si ses premiers projets de maisons aux toits végétaux laissaient les architectes incrédules, dix ans après, ils sont plébiscités par des organismes d’immobilier : « D’autres prismes de compréhension d’un contexte ont été intégrés, ils savent qu’ils n’ont pas le choix et essaient donc de se transformer. Pour répondre aux exigences des villes, de quotas de végétation… C’est une mutation très compliquée, mais on a une carte à jouer et ils sont demandeurs. C’est une époque vraiment intéressante, on remet l’humain au centre. » À l’image des plantes qui s’adaptent, se transforment, « le design végétal s’inscrit aujourd’hui dans un design contextuel », conclut-il.

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Cet article est extrait du douzième opus de la revue Garden_Lab : Architecture et jardins. À découvrir dans sa version intégrale

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