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Philippe Madec, architecte. Garden_Lab #12, Architecture & jardins.

Philippe Madec : la frugalité est positive

 

Philippe Madec, architecte. Garden_Lab #12, Architecture & jardins.

Il faut arrêter de construire pour davantage consolider, réparer, nettoyer : l’architecte urbaniste Philippe Madec en est convaincu. Pionnier du développement durable en urbanisme, il est à l’initiative du mouvement pour une frugalité heureuse et créative.

Philippe Madec a longtemps enseigné le paysage à l’École nationale supérieure de paysage à Versailles et à l’université de Harvard, aux États-Unis. « À la fin de mes études, j’ai beaucoup voyagé car je cherchais les outils pour faire de l’architecture écologique, dit-il. En 1985, à mon retour en France, aucune école d’architecture n’était intéressée par ce que je proposais. » Cela ne l’empêche guère d’exercer son métier en développant outils et pensée écoresponsables et en s’insurgeant de plus en plus contre la situation de l’architecture et de l’urbanisme.

Dans son récent ouvrage Mieux avec moins : architecture et frugalité pour la paix, l’architecte urbaniste accuse clairement les bâtisseurs, dont il fait partie, d’être responsables d’une bonne part des émissions de gaz à effet de serre (40 %) et des déchets dans le monde (60 %).

Parallèlement à sa pratique professionnelle qui lui a valu de nombreuses distinctions, notamment le Global Award for Sustainable Architecture 2012, il participe à la politique générale de l’architecture et de l’urbanisme en France. Expert pour le Grenelle de l’environnement, pour le sommet « Habitat » de l’ONU en 2016, membre du Chapitre Europe du Club de Rome, il est aussi l’initiateur avec ses deux amis Alain Bornarel, ingénieur, et Dominique Gauzin-Müller, architecte chercheuse, du « Manifeste pour une frugalité heureuse et créative », qui milite depuis 2018 pour plus de bien-être avec moins de ressources. « Nous nous sommes lancés dans la “frugalité heureuse et créative” car nous en avions marre de nous faire rouler dans la farine en permanence, marre de voir que quels que soient les gouvernements, on nous promettait toujours la même chose – la réduction de la part du nucléaire dans le mix énergétique en France, la réhabilitation des centaines de milliers de logements –, sans jamais en voir l’application, se souvient Philippe Madec. Nous nous sommes dit qu’il fallait arrêter de demander l’autorisation de faire autrement et le faire réellement, tout en assumant notre responsabilité. » Cette prise de position a eu valeur « d’émancipation », selon ses propres termes, et a libéré l’action. Aujourd’hui, le mouvement est mondial.

Le terme de « frugalité » a été préféré à celui de « sobriété », car la racine latine frux, frugis (« fruit ») évoque la récolte. « Dans nos métiers, nous avons en permanence besoin des fruits de la nature, explique-t-il. La frugalité appelle l’équilibre de la relation à la nature. Nous avons ajouté “créative” car après quelques siècles de gabegie, faire autrement demande d’être créatif. »

Comment changer de route ? C’est ce que Garden_Lab a souhaité savoir en conversant avec le pionnier du développement durable en urbanisme et architecture.

GARDEN_LAB. LES INJONCTIONS AU CHANGEMENT D’ATTITUDE SONT DE PLUS EN PLUS AUDIBLES AU VU DE LA PRESSION HUMAINE EXERCÉE SUR LA PLANÈTE. EN QUOI CELA CONCERNE-T-IL L’ARCHITECTURE ? QUELLES SONT LES RAISONS QUI POUSSENT À CHANGER ?

PHILIPPE MADEC. L’architecture accompagne l’histoire et matérialise l’établissement humain selon les périodes, les situations, les milieux. L’évolution actuelle est le passage du modernisme à l’écoresponsabilité. Même si tout le monde n’est pas d’accord avec cela, c’est le sens de l’histoire. Nous devons absolument faire le deuil du modernisme, sinon nous poursuivrons notre travail sur la base de ses défauts. Le modernisme a commencé au XVIIIe siècle, s’est épanoui en Angleterre au XIXe et est devenu radical dans les pays occidentaux au XXe siècle. La période des après-guerres mondiales a réellement produit la situation dans laquelle nous sommes. La nécessité de reconstruire les pays détruits a engagé l’architecture au plus près du modernisme dans un productivisme utile à l’époque pour reloger les gens et rééquiper les territoires. Le modernisme a rempli sa tâche sur la base de nos fascinations vis-à-vis de la capacité à maîtriser la puissance de l’énergie, vis-à-vis de la machine, à tel point que toutes nos relations à la nature lui sont confiées. Nous héritons d’un monde où le territoire et l’architecture ont été pensés en fonction de la machine. Nous savons aujourd’hui combien cet héritage s’est révélé catastrophique.

G._L. FAUT-IL ALORS BANNIR LE MOT « MODERNISME » EN RAISON DE SA CONNOTATION DESTRUCTRICE ?

PH. M. Pas du tout. Je dis qu’il faut en faire le deuil. C’est pourquoi il faut bien connaître l’histoire et l’époque dont nous devons nous défaire. Surtout ne pas tout jeter à la poubelle. Il y a des choses que je veux conserver du modernisme et dont je ne pourrai pas me défaire. L’ambition d’une émancipation des individus et des sociétés, apportée par les modernes, est définitive. Je ne veux pas perdre ce que l’abstraction a apporté dans la pensée et l’art.

Mais il y a des choses que je ne veux pas garder, comme le projet générique, qui serait bon partout à l’est, l’ouest, au sud et nord de la planète.
Le modernisme n’a pas rompu avec certaines idées anciennes, dont la confusion entre l’unité et l’universalité. Pourtant, si nous sommes égaux du point de vue des droits, nous sommes aussi différents que les lieux dans lesquels nous vivons. Les modernes pensaient pouvoir s’affranchir de ces différences, aplanir le monde. Quand ils font un bâtiment en béton – une matière générique –, avec quatre façades identiques qui se moquent du climat, de l’orientation et dont aucune fenêtre ne s’ouvre en raison du système de climatisation interne, ils nient totalement la réalité de la planète et des mondes. C’est une négation de la géographie, du climat et des cultures également. La mondialisation capitalistique et productiviste a cherché une unité planétaire. Elle est bien éloignée de ce qui est en train d’émerger : une compagnie de mondes, une multiplicité qui est la grande richesse terrestre. Nous sommes prêts à l’admettre.

G._L. LES PÉRIODES DE TRANSITION SONT SOUVENT DRAMATIQUES, CAR NOUS SAVONS CE QUE NOUS PERDONS SANS SAVOIR CE QUE NOUS POUVONS CONSTRUIRE. LES BONNES NOUVELLES SONT DONC TRÈS IMPORTANTES À ENTENDRE…

PH. M.  Nous savons surtout que nous avons intérêt à ce que la situation change rapidement. Dans la liste des bonnes nouvelles, nous sommes certains que la Terre est finie. Albert Jacquard disait que c’était une chance, car maintenant nous savons sur quelle base passer un contrat avec elle. Une autre bonne nouvelle, c’est que l’humanité, lorsqu’elle s’allie, est capable de régénérer la nature. L’anthropocène n’est pas que la destruction du monde. Certes, la présence de l’homme est très forte, mais a contrario, ce dernier a été capable de faire en sorte que les gaz responsables de ce problème ne soient plus produits ; le trou dans la couche d’ozone se résorbe.

Autre bonne nouvelle : on n’a plus besoin de dire à la jeunesse qu’il faut sauver la planète… Par ailleurs, le fait que les femmes, de plus en plus présentes, aient été et sont importantes dans l’histoire de l’écologie est aussi une super-bonne nouvelle. Ce sont elles qui théorisent l’écologie, le biomimétisme, et portent les luttes pour la nature. Un exemple, plus théorique, annonciateur du changement, concerne l’architecture et le paysage : l’avènement de la notion de milieu habité. Les modernes ne s’intéressent pas au milieu, au contexte. Dans les années 1970, avec l’arrivée du postmodernisme, la théorie architecturale moderniste a été mise à mal. Le vide qu’elle a laissé a été rempli par les sciences humaines et sociales. La pensée du vivant s’annonce dans la théorie architecturale. En 1983, Kenneth Frampton, historien anglo-américain, publie Le Régionalisme critique et décrit la manière de continuer à être moderne tout en revenant aux sources, c’est-à-dire en s’intéressant aux questions du climat, de la topographie, de la matière…

Douze mille trois cents signataires du « Manifeste pour une frugalité heureuse et créative », c’est également une très bonne nouvelle ! Ce mouvement est devenu mondial au travers de groupes (30 en France et plusieurs à l’étranger), avec une relation très verticale aux territoires. On retrouve du local, de l’économie circulaire, des savoir-faire et surtout le partage.

G._L. EN QUOI CONSISTE L’ARCHITECTURE FRUGALE HEUREUSE ET CRÉATIVE QUE VOUS PRÔNEZ ET SURTOUT EN QUOI EST-ELLE ESSENTIELLE AUJOURD’HUI ?

PH. M. Un des rapports du Club de Rome, « Facteur 4 », paru en 1997, est sous-titré : « deux fois plus de bien-être en consommant deux fois moins de ressources ». Je suis persuadé qu’il n’existe pas d’autre projet d’avenir que celui-là. Nous devons consommer deux fois moins de ressources, faute de quoi l’humanité disparaîtra, il s’agit d’œuvrer pour le bien-être. D’où l’idée du frugal ! La base des quatre frugalités est d’utiliser le moins possible de ressources, de technologies, d’énergie et de territoires de façon à réduire la part des émissions de gaz à effet de serre venant du bâtiment.

Chaque année, en Occident, les constructions neuves ne représentent que 1 % du bâti existant. Dans ce 1 % neuf, la part écoresponsable qui va participer à la réduction des émissions de gaz à effet de serre est négligeable. Ce n’est donc pas avec le neuf que nous allons sauver la planète.

La première question posée par la « frugalité heureuse et créative » est donc : faut-il construire ? Cette question doit être posée pour chaque projet, sachant que chaque projet a sa propre réponse. En Île-de-France, 4,5 millions de mètres carrés de bureaux sont vides. En 2020, 1,4 million de mètres carrés de bureau ont été livrés. À Paris, 232 000 logements sont vides ! Quelque chose ne tourne pas rond ! Pour moi, il ne faut plus construire dans cette région, mais réhabiliter. C’est-à-dire ne plus détruire, mais consolider, réparer, nettoyer, renforcer… Toutefois, l’idée n’est pas de couvrir le monde existant de plastique, isolant et bardage, en remplaçant les menuiseries en acier, énergivores, par du PVC. Il s’agit de réhabiliter un monde habité, donc avec tous les gens qui l’habitent. La réhabilitation n’est pas une réparation technique mais un retour en es- time. Commençons par aimer le monde dans lequel nous vivons et faisons-le collectivement.

[…]

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Cet article est extrait du douzième opus de la revue Garden_Lab : Architecture et jardins. À découvrir dans sa version intégrale

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Sortie en librairie le 16.09.21 de Garden_Lab n°12 Architecture & jardins.

 

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