Écrasé sous le poids d’une maison liée à l’histoire de Pablo Picasso, le jardin de l’ancienne villa La Californie est aujourd’hui l’âme du lieu. Histoire sensible d’une renaissance.

« On n’est pas bien, là ? » C’est avec ces mots que Marina Picasso nous accueille en cette matinée de fin d’été 2019 dans le pavillon asiatique de son nouveau jardin cannois. En guise de bienvenue, nous recevons de petits sachets de feuilles d’eucalyptus et de lavandes récoltées sur place. « C’est un jardin dont la générosité est sans limite », commente Jean Mus, le paysagiste à l’origine de la régénérescence du parc de la villa La Californie en 2018. À son arrivée, il découvre un site au style classique et « en très mauvais état », de l’avis de Marina Picasso, qui, entre ses cinq enfants et ses missions humanitaires n’avait jusqu’alors pas eu le loisir de s’occuper des extérieurs de la propriété. « À l’époque, la maison avait beaucoup d’importance et le jardin me paraissait compliqué », déclare-t-elle. Jusqu’au jour où elle prend le temps de le regarder davantage et se rend compte qu’il constitue un « trésor ».
La rencontre avec Jean Mus est le déclic. « Il m’a parlé du jardin avec son cœur », se souvient-elle. Le paysagiste a carte blanche pour faire renaître ce lieu selon les rêves de nature de la petite fille de Pablo Picasso qui affectionne tant les grands espaces et les randonnées. « Ce qui m’a énormément plu dans le travail de Jean, ici, c’est qu’il n’a pas voulu mettre des petites fleurs qui donnent un côté artificiel : il a introduit la “vraie nature”. C’est magnifique d’avoir un jardin vert. Je n’imaginais pas que l’on puisse construire un espace vert qui soit aussi affectueux qu’un jardin empli de fleurs », se réjouit-elle. Elle suit l’évolution du projet sur plan sans interférer sur le terrain, car elle souhaite se réserver la surprise du résultat. « Jean a tout de suite vu qu’il pouvait en faire quelque chose. Cela m’a rassurée, car je n’arrivais pas à me projeter dans ce jardin que je n’appréciais plus », poursuit l’héritière de la villa La Californie, soulignant l’importance d’une entente sensible : « Si on ne se retrouve pas dans nos sensibilités, on ne peut pas créer un vrai jardin. »

UN ENVIRONNEMENT EXCEPTIONNEL

Jean Mus, séduit par le lieu, a aussi pour mission de le détacher de son passé. En parallèle des aspirations exprimées, il doit en effet faire en sorte que les enfants adoptifs de Marina Picasso s’approprient l’endroit et s’extraient de l’histoire de la maison et de la famille. Le lieu hérite entre autres plantes de superbes eucalyptus, d’oliviers, de palmiers, de chênes- lièges que le paysagiste saura tirer de l’oubli. « Nous avons commencé par faire une lecture végétale, en nous posant les questions des actions à réaliser », explique-t-il. Au final, 90 % de la végétation existante seront conservés. L’équipe de Jean Mus entreprend ensuite de réorganiser les espaces, de boucher les trous, de remplacer un bassin peu engageant par un jardin d’inspiration asiatique, aménage le labyrinthe de faux bambous, orchestre une végétation venue du monde entier et parsème les 10 000 m2 d’endroits paisibles et frais où il fait bon s’asseoir. « Ce jardin vit très bien car nous avons composé avec les éléments qui existaient et continué l’histoire d’un parc situé sur la colline de La Californie », précise le paysagiste. L’endroit est en effet exceptionnel. Cette colline qui surplombe Cannes a été baptisée de la sorte en raison de la douceur de son climat, la nature schisteuse de sa terre et la présence d’eau qui ont permis depuis le XIXe siècle d’acclimater une végétation venue des cinq continents. Gingembres, oreilles d’éléphant, cycas, fougères arborescentes, dragonniers des Canaries, érables du Japon, agrumes distribués sur de grandes étendues engazonnées de zoysia et de dichondra sont ajoutés aux plantations préexistantes et cohabitent avec bonheur dans un jardin de promenade et de voyage botanique.

UNE SOURCE DE BIEN-ÊTRE

Ici, l’arrosage automatique n’est pas de mise. La nécessité d’arroser est laissée à la libre appréciation du jardinier, car l’objectif recherché est que les plantes finissent par trouver elles-mêmes leurs ressources. « Il est essentiel que le jardinier se sente bien dans le jardin, aussi bien que nous le sommes », estime Marina Picasso, ravie du résultat de cette transformation. Elle va jusqu’à révéler que « le jardin a peut-être même pris le dessus sur la maison aujourd’hui ». Aveu d’ampleur, connaissant l’histoire qui lie la villa La Californie à Pablo Picasso. L’artiste y établit son atelier de 1955 à 1961. Le jardin lui importait peu, servant surtout de support aux œuvres sculpturales. « Lorsque j’ai hérité de cette maison, il était un peu abandonné. Le fait qu’il ait été recréé après la disparition de mon grand-père m’a donné de l’espace au sens large. Il a représenté une sorte de liberté et a allégé le poids de la maison. Aujourd’hui, le rapport s’est inversé, la maison est la continuité du jardin », confie l’héritière. Elle invite désormais volontiers ses hôtes à en faire le tour. « Sur les personnes qui n’ont pas l’habitude de cela ou qui arrivent stressées, on constate l’influence véritablement bénéfique du jardin », conclut-elle malicieusement. Ce n’est donc pas un hasard si la villa La Californie a été rebaptisée « pavillon de Flore » par Marina Picasso !

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Cet article est extrait du onzième opus de la revue Garden_Lab : Paysages olfactifs.
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